Histoire d’un homme du peuple - les bohémiens sous la révolution by Erckmann-Chatrian

Histoire d’un homme du peuple - les bohémiens sous la révolution by Erckmann-Chatrian

Auteur:Erckmann-Chatrian [Erckmann-Chatrian]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2011-01-22T23:00:00+00:00


XVII

Je ne pensais plus revoir Emmanuel avant son retour des vacances ; mais, à la fin de cette semaine, une après-midi, vers deux heures, il entra tout à coup dans notre atelier en s’écriant :

– Je viens t’embrasser, Jean-Pierre, je suis reçu et je pars !

Il était en petit frac d’été blanc et chapeau de paille, ses yeux brillaient. Tous mes camarades le regardaient, pendant que nous nous embrassions. Je le reconduisis jusque dans la cour.

– Tu n’as pas de commissions pour Saverne ? me demanda-t-il.

Alors je pris le courage de lui dire :

– Embrasse pour moi la mère Balais, dis-lui que je vais bien, que l’ouvrage continue et que je pense à elle tous les jours. Embrasse aussi le père Antoine, Mme Madeleine et Annette. Si tu passes près de la fontaine, n’oublie pas non plus M. Nivoi. Tu lui diras que je le remercie de ses bons conseils et de sa recommandation. M. Braconneau s’est souvenu de lui.

Nous nous serrions les mains. Il partit en criant :

– À bientôt !… dans deux mois !…

Puis il monta dans une voiture qui l’attendait à la porte, et descendit la rue au galop. Comme je rentrais, le père Perrignon me demanda :

– C’est un de tes camarades d’enfance ?

– Oui, monsieur Perrignon, le fils de notre juge de paix, un camarade d’école. Il fait son droit.

– Quel brave garçon, dit-il, quelle honnête figure !

Il n’en dit pas plus alors ; mais, à trois heures, en allant dîner, il se mit à parler d’Emmanuel, disant que les bourgeois et le peuple ne font qu’un, qu’ils ont les mêmes intérêts ; mais que malheureusement on rencontre trop de ces fainéants qui viennent à Paris, soi-disant pour faire leurs études, et qui dépensent l’argent de leurs parents à courir les filles de mauvaise vie. Il les traitait de canailles. Quentin et les autres l’approuvaient.

En parlant d’Emmanuel et de ceux qui lui ressemblaient, M. Perrignon disait que la place de ces jeunes gens était à la tête du peuple ; que leurs pères avaient fait la Révolution de 89, et que les fils marcheraient sur leurs traces, qu’ils ne se laisseraient pas abrutir par les mauvais exemples, et que le peuple comptait sur eux.

On se figure quel plaisir j’avais d’entendre un homme aussi respectable que M. Perrignon, un maître ouvrier, parler ainsi de mon camarade.

Je me rappelle que dans ce temps les disputes des journalistes, des graveurs et des peintres redoublaient dans notre caboulot ; qu’on disait que les cours de Michelet et de Quinet étaient suspendus et qu’ils ne recommenceraient pas après les vacances ; que la grève des charpentiers devenait plus forte ; que les banquets allaient leur train ; qu’Odilon Barrot et Lamartine ne laisseraient pas tomber les droits du peuple ; et qu’on répétait mille fois les mots de paix à tout prix, de mariages espagnols et autres choses que je ne comprenais pas.

Quand les disputes grandissaient, notre caboulot ressemblait à un tambour, les vitres frissonnaient, on tapait des pieds, on



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